Pourquoi devrais-je m’investir dans des actions de médiation scientifique alors que je cours déjà après le temps pour mener à bien mon projet de thèse ?
C’est vrai que pendant un doctorat, le temps est très compté. En seulement trois ans — pour les thèses de biologie notamment —, le doctorant doit passer du statut d’étudiant encore timide qui découvre un nouvel univers : nouvelle problématique de recherche, nouvelle équipe et nouveau laboratoire, au statut de jeune chercheur, acteur à part entière du monde de la recherche, prêt à partir à sa conquête aux quatre coins de la planète. C’est une véritable métamorphose qui va devoir s’opérer chez cet étudiant, en même temps qu’il va progressivement monter en compétences, en autonomie et en maturité. Mais cette métamorphose s’accompagne souvent de moments de doute et de remise en question, notamment quand vient le moment de rédiger le mémoire final. Pourquoi ? Parce que c’est aussi la dernière étape de ce processus de métamorphose, la naissance du jeune chercheur en quelque sorte. A ce moment là, le doctorant est censé avoir pris suffisamment de recul sur son travail de recherche non seulement pour pouvoir proposer des réponses aux questions qui l’ont guidé durant sa thèse et présenter une synthèse organisée de son travail, mais aussi pour pouvoir défendre ses points de vue devant un comité d’experts rassemblé autour de lui lors de sa soutenance. C’est une évolution somme toute naturelle qui doit s’opérer et un aboutissement, qui permet de rendre visible auprès de l’ensemble de la communauté scientifique trois années de travail. Comme toute recherche qui n’est pas communiquée n’existe pas, cette dernière étape est donc essentielle. Pourtant pour nombre de jeunes chercheurs, cette dernière étape reste marquée dans leurs esprits comme un moment particulièrement difficile à vivre.
Je pourrais vous dire qu’aller à la rencontre des citoyens fait partie intégrante du métier de chercheur/enseignant-chercheur, et que c’est important pour tout doctorant de s’y préparer. C’est vrai. Je pourrais vous dire aussi qu’il est du devoir du chercheur de communiquer les résultats de ses recherches au plus grand nombre et que les citoyens dans leur grande majorité sont en attente d’une rencontre avec les chercheurs. C’est très vrai aussi. Je pourrai vous dire enfin qu’aller à la rencontre des citoyens quand on est chercheur, c’est surtout un enrichissement personnel, une aventure humaine que l’on n’oublie pas et un engagement au service de notre société. Tous ceux qui s’investissent dans la médiation scientifique vous le diront mieux que moi !
Mais ce que je veux vous dire aussi ici, c’est qu’en faisant l’effort d’aller à la rencontre de non-spécialistes, vous vous mettez obligatoirement en situation de devoir prendre du recul sur vos propres recherches. Et plus encore vous vous obligez à formaliser votre démarche de chercheur, ce qui vient par la même conforter votre maîtrise de cette démarche, avec toutes ses étapes : quelles sont mes questions de recherche ? dans quel contexte se posent-elles ?, comment puis-je y répondre ? quels sont les résultats que j’ai obtenus ? comment puis-je les interpréter au regard des questions posées au départ ? quelles nouvelles interrogations découlent de ces interprétations ?
Pour qu’il puisse vraiment comprendre vos recherches, même les plus complexes, le citoyen auquel vous présenterez peut-être votre travail aura besoin de prendre connaissance de toutes les étapes de votre démarche scientifique, et avant tout dans le bon ordre ! Car vous le savez bien, la recherche est comme un grand engrenage dont les pièces doivent être assemblées dans un certain ordre pour que l’ensemble puisse fonctionner. D’où l’importance du travail de formalisation que vous devrez mener en amont pour être capable d’expliquer avec logique et sans implicite votre travail. Mais cet exercice de formalisation, c’est aussi à vous qu’il sera profitable, non seulement pour mener des recherches fructueuses et efficaces mais aussi pour pouvoir les valoriser au mieux. Car rédiger une publication scientifique, n’est-ce pas rien d’autre que dérouler toute la démarche de recherche qui a conduit à la production de nouveaux résultats remarquables ? Si cette démarche est claire dans votre tête, elle sera clairement présentée dans votre projet d’article et n’aura aucun mal à convaincre les lecteurs arbitres qui l’évalueront.
L’intérêt de cette formalisation va même encore au delà. Grâce à elle, quand le moment sera venu pour vous de prendre la plume pour mettre sur le papier trois ans de recherches, les idées vous viendront sans difficulté au fur et à mesure que vous déroulerez unes à unes les étapes de la démarche que vous aurez suivie. Et ce moment que beaucoup de doctorants redoutent, sera vécu comme un réel moment d’épanouissement personnel. Vous resterez marqué par la satisfaction d’avoir réussi après trois ans d’efforts, par votre seule réflexion, à mettre ensemble toutes les pièces d’un puzzle et avoir ainsi contribué même modestement à faire avancer la connaissance.
Je vous ai convaincu ? Vous souhaitez vous lancer dans l’aventure de la médiation? Les occasions ne manquent pas ! Vous pourrez même choisir en fonction de votre sensibilité propre. En voici quelques exemples. Vous aimez le contact avec les enfants et/ou les élèves ? Alors l’Experimentarium, Tous Chercheurs ou la médiation scolaire* sont faits pour vous. Au contact de ces jeunes publics, vous vivrez une expérience très enrichissante et vous serez sans doute comme beaucoup d’autres avant vous, impressionnés par la vivacité d’esprit de ces jeunes chez qui, par votre implication, vous contribuerez à développer un esprit critique indispensable pour grandir dans la société d’aujourd’hui. Vous préférez vous confronter au grand public, à des représentants du monde économique ? Alors pourquoi ne pas tenter le concours Ma thèse en 180 secondes, dont vous avez très certainement déjà entendu parlé ? Vous aimeriez vous faire l’ambassadeur des sciences auprès de publics particuliers ? Des opportunités existent en Lorraine pour aller à la rencontre de détenus au centre pénitentiaire de Nancy. Renseignez-vous.
Et si vous alliez encore plus loin ? Si vous invitiez les citoyens à devenir des acteurs à part entière de vos recherches ? Y avez-vous jamais pensé ? « Mais les sciences participatives, ce n’est possible que dans certaines disciplines, la mienne ne s’y prête pas ! » me direz-vous peut-être. Actuellement les sciences participatives restent effectivement marginales dans l’univers de la recherche, même si on assiste depuis quelques années à leur essor (voir le rapport Houllier 2016 sur les sciences participatives en France). A titre personnel, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec les réponses que faisaient certains chercheurs/enseignants-chercheurs il y a une quinzaine d’années quand il s’agissait d’inciter la communauté scientifique à développer la valorisation économique des résultats de recherche : « Mais toutes les recherches ne se prêtent pas à une valorisation économique !». Pourtant, quinze ans après, la révolution s’est faite dans l’esprit de beaucoup de collègues, y compris ceux qui travaillent dans des domaines de recherche très fondamentale. La perspective d’une valorisation économique de leurs travaux est aujourd’hui complètement intégrée à leur réflexion. Mon sentiment est que le développement des sciences participatives que l’on observe actuellement est loin d’être un effet de mode. Nous allons continuer à assister à une montée en puissance des sciences participatives, en réponse notamment aux attentes fortes des citoyens. Cela va nécessiter un changement d’esprit et de posture de la part des chercheurs/enseignants-chercheurs, qui vont notamment devoir accepter de s’ouvrir vers d’autres savoirs. Mais c’est un formidable défi à relever. C’est pourquoi je vous encourage à vous interroger sur ce que pourraient apporter les sciences participatives à vos recherches actuelles et futures pour, pourquoi pas, peut-être vous lancer à votre tour dans l’aventure !
*Eléments d’approfondissement proposés dans le cadre du module de formation doctorale « Sciences et Médication » de l’Université de Lorraine
PS : image d’illustration provenant du site « http://pourquoilecielestbleu.cafe-sciences.org »